Fiction

Année de parution: 1998

Auteur: Michel Houellebecq

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Merci à Camille B pour cette recommendation. ❤️


Review

Parfois un peu emmerdant, souvent choquant, constamment surprenant, ce livre est l’exemple parfait pour moi de ce qu’est l’humour noir. Je n’ai jamais lu un livre tout à fait comme celui-ci auparavant. J’ai parcouru mon lot de romans violents par le passé (Le Vide et Hell.com de Patrick Sénécal ont longtemps été mes deux livres préférés), mais il y a quelque chose dans la prose de Houellebecq qui vient me chercher à un niveau différent. Il met le doigt sur l’absurdité de nos vies, sans se presser de nous offrir une solution sur laquelle appuyer nos espoirs. Au fil de la lecture, l’humour vient de notre intérieur, les situations étant parfois si mornes, froides et tristes qu’on ne peut s’empêcher d’en rire, mal à l’aise, comme pour redonner aux personnages un peu de notre chaleur. Si le bonheur arrive parfois dans Les Particules élémentaires, il ne dure hélas jamais longtemps. Quand on se compare, on se console!

C’est un livre sombre, où l’on a souvent envie de poser la question: À quoi bon? Les événements que vivent Bruno et Michel, les personnages principaux du livre, nous mènent souvent à questionner le sens de notre propre vie. Malgré les extrêmes auxquels ils font face tout au long de leur vie (le sexe et la violence pour l’un, le savoir et l’isolement pour l’autre), les émotions sourdes qu’ils traversent crèvent les pages et venaient souvent me rejoindre directement au cœur. J’avais l’impression de les comprendre, de souffrir avec eux. Chaque personnage vit sa spirale aux enfers, sans savoir s’il est mieux de l’accepter et de “profiter” du temps qu’il lui reste (comment?), ou s’il a encore une chance de s’en sortir et de trouver un sens à sa vie.

Tout ça est franchement triste.

Je trouve que ce livre illustre bien le vide d’une vie de désir. Bruno cherche l’amour comme quelqu’un chercherait à entrer dans un magasin par sa vitrine. Il sent sa vie qui lui file entre les doigts, n’étant jamais à la hauteur des femmes qu’il désire, et devient de plus en plus cynique de jour en jour. Michel, lui, a un désir de connaissance inassouvissable. Il vit avec un détachement presque complet du reste des humains. Il ne semble pas réaliser qu’à force de s’isoler dans ses recherches, seul son demi-frère Bruno reste une présence sur laquelle il pourrait compter. On n’a même pas l’impression qu’il l’apprécie particulièrement. Les gens autour de Michel le quittent tranquillement mais sûrement, puisqu’il n’a d’attache avec personne. C’est à s’en demander à quoi aspire Michel dans la vie: où ce désir de connaissances va-t-il le mener? Peut-on vraiment être heureux dans une existence pareille? Le fait d’aimer et d’être aimé n’est-il pas un besoin humain universel? Bref, on sent que tout cela va bien mal se finir, pour l’un comme pour l’autre.

Une lueur d’espoir, toutefois. Houellebecq semble écrire avec un profond désir d’enseigner. Parsemé ça et là dans le texte, on retrouve des pépites précieuses de savoir qui, j’en suis certain, ont été acquises au fil d’une vie à se poser des questions difficiles. Le ton est magistral, ne laissant aucune place à l’ambiguïté. Ces rares moments sont paradoxalement les plus rassurants du livre: pour quelques rares instants, on semble toucher à la vérité absolue, celle qui est à la source de tout pouvoir véritable. La souffrance qu’il nous fait vivre avec ses mots, donc, ce n’est pas pour nous faire du mal: c’est pour nous montrer que la souffrance nous guette vraiment. Il nous montre l’humain dans toutes ses failles et sa laideur afin de nous motiver à apprendre à faire autrement pour nous-mêmes.

Félix rating:
👍


⭐ Star quotes

  • (p. 7) La vision du monde la plus couramment adoptée, à un moment donné, par les membres d’une société détermine son économie, sa politique et ses mœurs.
  • (p. 63) Une vie tendue vers un objectif laisse peu de place au souvenir.
  • (p. 68) Considérant le passé, on a toujours l’impression – probablement fallacieuse – d’un certain déterminisme.
  • (p. 82) Pour l’Occidental contemporain, même lorsqu’il est bien portant, la pensée de la mort constitue une sorte de bruit de fond qui vient emplir son cerveau dès que les projets et les désirs s’estompent.
  • (p. 107) Une génération est une communauté de destins.
  • (p. 112) Dans un monde qui ne respecte que la jeunesse, les êtres sont peu à peu dévorés.
  • (p. 120) En regardant les gens mourir du sida à la télévision, Michel croyait que la souffrance donnait à l’homme une dignité supplémentaire. Il s’était trompé. Ce qui donnait à l’homme une dignité supplémentaire, c’était la télévision.
  • (p. 160) De l’individualisme naissent la liberté, la sensation du moi, le besoin de se distinguer et d’être supérieur aux autres.
  • (p. 161) ⭐ En soi le désir – contrairement au plaisir – est source de souffrance, de haine et de malheur.
  • (p. 162) “Comment une société pourrait-elle subsister sans religion? Déjà, dans le cas d’un individu, ça paraissait difficile.”
  • (p. 169) Un mensonge est utile quand il permet de transformer la réalité; mais quand la transformation échoue, il ne reste plus que le mensonge, l’amertume et la conscience du mensonge.
  • (p. 178) “Bruno pouvait apparaître comme un individu, mais d’un autre point de vue il n’était que l’élément passif du déploiement d’un mouvement historique. Ses motivations, ses valeurs et ses désirs: rien de tout cela ne le distinguait, si peu que ce soit, de ses contemporains.”
  • (p. 179) ✅ Aucune mutation métaphysique ne s’accomplit sans avoir été annoncée, préparée et facilitée par un ensemble de mutations mineures, souvent passées inaperçues au moment de leur occurrence historique.
  • (p. 189) C’est probablement ça, la vieillesse: les réactions émotionnelles s’émoussent, on garde peu de rancunes et on garde peu de joies; on s’intéresse surtout au fonctionnement des organes, à leur équilibre précaire.
  • (p. 226) La traditionnelle lucidité des dépressifs, souvent écrite comme un désinvestissement radical à l’égard des préoccupations humaines, se manifeste en tout premier lieu par un manque d’intérêt pour les questions effectivement peu intéressantes. Ainsi peut-on, à la rigueur, imaginer un dépressif amoureux, tandis qu’un dépressif patriote paraît franchement inconcevable.
  • (p. 233) Les hommes ne font pas l’amour parce qu’ils sont heureux, mais parce qu’ils sont excités.
  • (p. 243) Plaisir demande finesse, sensibilité, lenteur.
  • (p. 245) Notre malheur n’atteint son plus haut point que lorsque a été envisagée, suffisamment proche, la possibilité pratique du bonheur.
  • (p. 247) La vie se caractérise par de longues plages d’ennui confus, elle est le plus souvent singulièrement morne; puis tout à coup une bifurcation apparaît, et cette bifurcation s’avère définitive [, permanente].
  • (p. 247) Jamais, à aucune époque et dans aucune autre civilisation, on n’a pensé aussi longuement et aussi constamment à son âge; chacun a dans la tête une perspective d’avenir simple: le moment viendra pour lui où la somme des jouissances physiques qui lui restent à attendre de la vie deviendra inférieure à la somme des douleurs.
  • (p. 248) Rien, y compris la mort, ne paraît aussi terrible que de vivre dans un corps amoindri.
  • (p. 250) Les enfants supportent le monde que les adultes ont construit pour eux, ils essaient de s’y adapter de leur mieux, par la suite, en général, ils le reproduisent.
  • (p. 257) Selon Auguste Comte (1798-1857, philosophe), la religion a pour seul rôle d’amener l’humanité à un état d’unité parfaite.
  • (p. 258) À partir du moment où on ne croit plus à la vie éternelle, il n’y a plus de religion possible.
  • (p. 270) ⭐ Aucune puissance économique, politique, sociale ou religieuse n’est capable de tenir face à l’évidence de la certitude rationnelle.
  • (p. 270) Ce qui décide de la valeur d’une religion, c’est la qualité de la morale qu’elle permet de fonder.
  • (p. 270) Les religions sont avant tout des tentatives d’explication du monde; et aucune tentative d’explication du monde ne peut tenir si elle se heurte à notre besoin de certitude rationnelle.
  • (p. 272) Le monde est égal à la somme des connaissances que nous avons sur lui.
  • (p. 287) Certains êtres vivent jusqu’à 70, voire 80 ans, en pensant qu’il y a toujours du nouveau, que l’aventure est, comme on dit, au coin de la rue; il faut en définitive pratiquement les tuer, ou du moins les réduire à un état d’invalidité très avancé, pour leur faire entendre raison.
  • (p. 291) Quelles que soient les qualités de courage, de sang-froid et d’humour qu’on a pu développer tout au long de sa vie, on finit toujours par avoir le cœur brisé. Alors, on arrête de rire. Au bout du compte, il n’y a plus que la solitude, le froid, le silence et la mort.
  • (p. 302) L’amour lie, et il lie à jamais. La pratique du bien est une liaison, la pratique du mal un déliaison. La séparation est l’autre nom du mal; c’est également l’autre nom du mensonge.